Cérémonie traditionnelle pour P-WAC

          Il y a quelques semaines, nous vous parlions des difficultés de terrain liées à la situation politique du Congo. Administration ralentie, commissions reportées, notre équipe a dû prendre son mal en patience. En attendant que la situation s’améliore, les villageois partenaires du projet, très investis dans nos missions, ont décidé d’organiser la cérémonie traditionnelle de remise de terres. Souvenez-vous: en 2016 P-WAC a acquis une parcelle de forêt (notamment grâce à la Fondation 30 millions d’amis) pour établir notre centre de réhabilitation pour chimpanzés. Bien sûr, il a fallu légaliser tout cela auprès de l’administration congolaise. Mais au-delà de toute la paperasse obligatoire et de la légalisation juridique, ce sont les traditions qui comptent aux yeux des villageois. La passation de la terre entre les ayant-droits et P-WAC a donc eu lieu en fin d’année.

          Amandine, fondatrice de P-WAC, s’est rendue au village accompagnée de Simon, photographe bénévole. A l’arrivée, l’excitation est palpable. Tous les membres de la famille cédant une partie de ses terres pour la préservation des chimpanzés sont affairés aux derniers préparatifs: les femmes cuisinent le repas d’après cérémonie et Papa Kasavubu recrute les chauffeurs nécessaires au cortège pour aller sur le site, tout en décorant les motos de drapeaux P-WAC. De son coté, Papa Célestin, patrouilleur éco-garde P-WAC, explique le déroulement de la journée: pour cette cérémonie les ayants-droits vont aller sur la tombe de leurs ancêtres pour leur demander d’accueillir le projet. Des noix de cola et de l’alcool local serviront d’offrandes.

Les villageois, tendus avant la cérémonie traditionnelle

          A l’arrivée du doyen en charge de communiquer avec les ancêtres, tous les visages se ferment. Papa Simon, chef coutumier, et les hommes de la famille se réunissent et discutent… un malaise est palpable. Papa Céléstin aide Amandine à comprendre cette tension mais les ayants-droits restent réservés. De plus, le vin de palme qui doit être remis aux ancêtres n’est pas disponible, ce n’est plus vraiment la saison. Cela ne semble pas convenir à Papa Simon, obligé de prendre une autre boisson: de la bière locale. Tous sont agités, mais le programme continue et toute l’équipe part pour l’évènement.

          Le cortège P-WAC est en route. Après trente minutes de trajet, les moteurs sont coupés. Nous sommes arrivés. Papa Simon ouvre la marche jusqu’au site de la cérémonie: le cimetière de la famille. Nous montons tous en file indienne jusqu’au sommet d’une colline. A mi-chemin, Papa Célestin se retourne: «  A partir d’ici, il ne faut plus parler ». Tout le monde se tait. L’ambiance devient pesante.  Nous marchons ainsi sous une chaleur cuisante jusqu’à ce que Papa Simon donne des coups de machette : il ouvre l’accès aux tombes des ancêtres. Peu à peu, nous découvrons les tombes datant de plusieurs décennies. Arrivés à la dernière tombe (celle du premier ancêtre du chef de famille), nous nous installons en ligne, en face de celle-ci. Le lieu est empli d’énergies. Le silence est étouffant. Un des papas se retourne « A la fin de la cérémonie, nous quittons. Il ne faut pas se retourner et regarder derrière. C’est important ». La cérémonie débute. Pendant qu’il appelle ses ancêtres, le doyen mâche de la noix de cola, se déplace entre les tombes et recrache la noix pour la partager avec les défunts. Arrive l’offrande de l’alcool local. La bouteille de bière est ouverte. Il en prend une gorgée, passe la bouteille au suivant (un autre chef de famille), puis la récupère pour offrir le reste aux ancêtres. Nous écoutons en silence. La cérémonie prend fin. On nous fait signe de partir.

 

 

          Arrivés en bas de la colline, Papa Simon, le doyen, et les autres hommes de la famille, jusqu’alors totalement fermés à tout échange, retrouvent le sourire. Papa Célestin : « Je vais vous expliquer ce qu’il vient de se passer. Le doyen a appelé l’ancêtre afin de s’excuser. Lui et tous les descendants de la famille sont venus demander pardon aux ancêtres parce qu’ils donnent leurs terres à des étrangers ». Il nous explique que même si tout le village a accepté de travailler avec nous « les ancêtres doivent accepter votre présence pour vous laisser en paix sur le terrain». Il explique que la tension du matin était liée à cette demande de pardon. Si les traditions se font rares avec la nouvelle génération et si les cérémonies traditionnelles ne sont pas courantes, l’avis des ancêtres reste important dans la culture du Kongo Central. Par pudeur, personne n’a voulu expliquer cela avant la cérémonie. A présent que les ancêtres ont été invoqués et qu’ils ont été remerciés par des offrandes, tout est rentré dans l’ordre. Papa Simon est soulagé « Je suis tellement heureux. Tout va bien maintenant. C’est la réussite de la cérémonie. La victoire. Les ancêtres sont d’accord avec nous. Il n’y a pas de problèmes ». Les sourires sont sur tous les visages. Tous respirent à nouveau.

Premier panneau de P-WAC implanté !

          Nous nous rendons ensuite sur le site de P-WAC afin de poser notre premier panneau. Si la cérémonie a été importante pour tous, la pose de cette première pierre restera mémorable pour notre équipe. P-WAC avance !   

          De retour au village, place au repas traditionnel. Les femmes ont passé plus de six heures à cuisiner. Au menu: pondu (feuilles de manioc pilées) avec du madesu (haricots blancs), riz, litumba (pain de bananes plantains) et des sucrés (boissons) pour tout le monde. La famille se réunit enfin sur la place du village pour discuter de la journée. Amandine souhaite prendre la parole. Elle se lance pour la première fois dans un discours en lingala pour remercier le village de cette collaboration. Les villageois semblent touchés de cette petite attention. Amandine s’excuse de sa prononciation mais Papa Simon sourit « Mama Amandine, vous êtes congolaise maintenant» .

Discours en lingala

Le ciel se couvre. Une pluie de saison arrive. Il est temps pour l’équipe de rentrer à Matadi.

Cette journée restera dans les archives de P-WAC !